ORGANISATION DES COTONCULTEURS

La mobilisation du monde paysan burkinabè à travers des institutions de type mutualiste remonte à la fin de l'époque coloniale (création dans les années 1950 des Sociétés indigènes de prévoyance). Elle va être vigoureusement poursuivie au lendemain de l'indépendance nationale par les sociétés d'intervention (SATEC, BDPA, CFDT...) auquel le jeune Etat voltaïque confie le développement rural (en 1965, près de 600 groupements sont répertoriés, dont la majorité dans la partie centrale du pays et une quarantaine dans l'Ouest). Mais le véritable coup d'envoi de la création à grande échelle de groupements villageois (GV) est donné en 1974, lorsque, pour relancer sa stratégie de développement rural, le gouvernement lance l'option nationale du développement communautaire, qui devrait permettre une meilleure participation des paysans aux actions proposées. Comme le rappellent A. Faure et D. Pesche, "l'administration souhaite implanter un GV par village. Ces GV ne sont la plupart du temps que le passage obligé pour se procurer des intrants et du crédit ; ils servent aussi de courroie de transmission pour les thèmes techniques vulgarisés par les agents de l'Etat ou des sociétés para-étatiques (SOFITEX). Le village est conçu comme une Unité de développement à laquelle l'Etat apporte des appuis techniques" (Réseau GAO, Situation et évolution des organisations paysannnes et rurales. Le Burkina Faso, 1993, p. 8). En 1993, 8 535 GV sont recensés, dont 1 893 dans les 7 provinces constitutives de l'aire cotonnière ouest-burkinabè (Houet, Kénédougou, Mouhoun, Kossi, Sourou, Comoé et Bougouriba). Dans cette même aire cotonnière, la SOFITEX accepte de confier, dès la fin de la décennie 1970, la commercialisation primaire du coton aux GV qu'elle considère capables d'organiser un "marché autogéré de coton" (MAC), moyennant le versement d'une ristourne, qui donnera notamment aux groupements la possibilité de réaliser des investissements à caractère social. Des MAC se mettent ainsi progressivement en place un peu partout, ce qui permettra aux GV de l'Ouest de contrôler, au début de la décennie 1990, la commercialisation de 95% du coton. Les GV servent parallèlement aussi de caution solidaire aux paysans pour les emprunts qu'ils sont amenés à contracter, qu'ils soient à court terme (crédits "facteurs de production", crédits de "soudure") ou à moyen terme (crédits "culture attelée", crédits "spécifiques").

Au début de cette même décennie 1990, apparaissent par ailleurs les premières fédérations de GV, à l'initiative de personnalités du monde agricole persuadées que les producteurs peuvent jouer un rôle plus important que celui que leur reconnaissaient jusque-là les pouvoirs publics ou les sociétés de développement (sur l'émergence de ces fédérations, voir notamment le travail de S. Couret et A. Traoré, Diagnostic des unions de groupemets villageois en zone cotonnière au Burkina Faso, réalisé sous couvert de la SOFITEX , du Programme coton de l'INERA et du CIRAD en 1994). L'Union des groupements villageois de la boucle du Mouhoun (UGVBM), rebaptisée ultérieurement Union des producteurs de coton des Balé et du Mouhoun (UPCBM), en fait partie. Elle donna beaucoup de fil à retordre à la SOFITEX , puisqu'elle eut d'entrée de jeu vis-à-vis de la société cotonnière, sous la houlette de son leader Pierre Bicaba, une attitude franchement contestataire et revendicatrice, allant à deux reprises, en 1996-1997 et en 1997-1998, jusqu'à boycotter l'achat des produits de traitement phytosanitaire officiellement préconisés pour lutter contre les parasites du cotonnier sous prétexte qu'ils n'étaient pas efficaces et organiser elle-même l'importation d'autres produits...

1996 : création des GPC

Tout au long de la première moitié de la décennie 1990, les GV ont en fait beaucoup de mal à gérer correctement la fonction de caution solidaire qui est la leur dans l'octroi par la SOFITEX ou par la CNCA des crédits sollicités par leurs membres au titre de la culture du coton. Au lendemain d'une mauvaise campagne agricole, la campagne 1991-1992, marquée par une attaque parasitaire incontrôlée d'Heliothis armigera, de nombreux groupements sont notamment dans l'incapacité de rembourser les crédits qu'ils doivent à leurs différents bailleurs de fonds, faute de production cotonnière suffisante. Un rééchelonnement des impayés est accordé fin 1993, mais l'endettement des GV se poursuit : il est de 2,2 milliards de francs CFA au 30 septembre 1995 (1,5 milliard consenti par la CNCA , 0,7 milliard par la SOFITEX , d'après le Cabinet Eurafric Expertise, Audit financier des crédits CNCA-B/SOFITEX accordés aux GPC et analyse de la situation d'endettement des GPC, Ouagadougou, juin 2000) lorsque l'apurement en est purement et simplement décidé (un apurement pris en charge à 50% de leur créance respective par la CNCA et la SOFITEX , à 50% par le COM-STABEX de la Commission européenne). La SOFITEX considère toutefois que c'est l'entité groupement villageois, telle qu'elle a été conçue et promue dans la décennie 1970 pour être opérationnelle à l'échelle d'une communauté villageoise tout entière, qui n'est en réalité pas vraiment appropriée pour exercer la fonction de caution solidaire que l'on attend d'elle dans la gestion des crédits liés à la culture du coton, pour la bonne raison qu'un village n'est pas forcément une entité homogène, dont les membres se sentent liés entre eux par de véritables obligations de solidarité. La réorganisation des GV "en groupes de caution opérationnels tant du point de vue des affinités que du nombre" (cf. document CNCA-SOFITEX, Modalités et conditions d'application de la décision d'apurement des dettes externes des Groupements villageois (GV) cotonniers de la zone cotonnière, Bobo-Dioulasso, mars 1996, p. 2), appelés Groupements de producteurs de coton (GPC), est ainsi décidée lors de la mise en place de la campagne 1996-1997. Quelque 4 000 GPC voient le jour dans l'aire cotonnière dès l'annonce de la mesure nouvelle, basés le plus fréquemment sur l'appartenance au même quartier, synonyme généralement d'appartenance au même lignage, ou au même groupement ethnique dans le cas des populations immigrées. Malgré la remise à zéro des compteurs, de nombreux GPC affichent de nouveau, dès l'année de leur création, des impayés (nous aborderons cette question plus loin). On prend conscience, cette fois-ci, que, si l'on veut que les GPC fonctionnent correctement, c'est-à-dire qu'ils soient en mesure de remplir de façon satisfaisante les fonctions que l'on attend d'eux, il faut commencer par les aider à se structurer d'une part, à former leurs responsables d'autre part. C'est ce à quoi s'attelleront respectivement la SOFITEX et l'AFD, l'un des partenaires financiers privilégiés de la société cotonnière burkinabè depuis de nombreuses années.

 

1998 : naissance de l'UNPCB

La structuration des GPC sera à la fois encouragée et appuyée par la SOFITEX , soucieuse de promouvoir des organisations professionnelles agricoles qui, pour elle, constitueraient des partenaires plus réceptifs à ses messages que ne l'avaient été par le passé certaines des unions de groupements villageois de l'aire cotonnière - des partenaires en bref davantage animés d'un esprit de collaboration que de revendication. Se met ainsi en place un dispositif pyramidal, qui compte en 2002, de la base au sommet : les GPC (environ 7000), des Unions villageoises (4 162), des Unions départementales (240), des Unions provinciales (36), enfin une Union nationale des producteurs de coton du Burkina (UNPCB), officiellement créée le 15 avril 1998. A la tête du dispositif, un producteur de coton atypique et à la personnalité hautement charismatique : François Traoré, du village de Sogodiankoli (département de Sami, province du Banwa), 50 ans, une carrure d'athlète, le verbe haut et assuré, responsable d'une exploitation agricole de 120 hectares (dont 60 ha de coton), qu'il fait tourner avec pas moins de 4 tracteurs (dont le premier a été acquis en 1986). Un producteur qui a fait ses preuves, qui s'est imposé par son travail (après un cursus scolaire qui s'est arrêté à 16 ans, lorsque son père devint aveugle) et qui a aujourd'hui une assise sociale l'autorisant pleinement à être le porte-parole de tous ceux qui, comme lui, pratiquent la culture cotonnière au Burkina. Un responsable qui ne manie pas la langue de bois : "J'ai honte, déclare-t-il sur RFI le 18 février 2003, quand on me parle aujourd'hui de lutte contre la pauvreté, alors que depuis 40 ans on lutte contre la pauvreté" et qui n'hésite pas, lors du Sommet France-Afrique du même mois de février 2003, à participer plutôt à l' "autre sommet pour l'Afrique", qui se réunit à l'Hôtel de Ville de Paris. Il sera de même d'une certaine manière le porte-parole de l'ensemble des producteurs de coton de l'Afrique sub-saharienne lorsque, le 11 septembre 2003, vêtu d'une tenue en cotonnade traditionnelle, il remet au président du Mexique, lors de la réunion de l'OMC à Cancun, une pétition dénonçant les subventions versées par les pays du Nord à leurs filières cotonnières et portant la signature de quelque 80 000 producteurs burkinabè !... Comme l'a très justement noté Jean-Claude Devèze, de l'AFD, dans un document de travail d'avril 2001, "cette union nationale a en fait une vocation à la fois syndicale (représenter les intérêts des producteurs de coton) et professionnelle (veiller à la fourniture de services répondant aux besoins des GPC et des producteurs)" (Réflexions sur la structuration des organisations de producteurs (OP) coton au Burkina Faso, doc. multigr., p. 2).

 

Pour permettre à ce dispositif de fonctionner, des ressources propres lui sont allouées par la SOFITEX dès la campagne 1998-1999, sous la forme d'un reversement à l'UNPCB de 750 francs CFA par tonne de coton commercialisée, à répartir comme suit : 250 francs CFA/tonne par Union départementale, 250 francs CFA/tonne par Union provinciale, 250 francs CFA/tonne pour l'Union nationale (ce qui représente, sur la base d'une production cotonnière de 300 000 tonnes/an, des ressources de 225 millions de francs CFA/an pour ces organisations de producteurs). Rappelons que cette allocation vient s'ajouter à la commission sur marché versée aux GPC eux-mêmes, en rémunération du rôle qu'ils jouent dans la commercialisation primaire du coton et qui est de 3 500 francs CFA/tonne. L'Union européenne, de son côté, sur une ligne de crédits du STABEX, apporte également un appui aux OPA cotonnières, en participant au financement de magasins de stockage pour les GPC, de locaux d'intérêt collectif pour les Unions provinciales, de véhicules automobiles, de motos et d'ordinateurs pour l'Union nationale... Sur des fonds propres, l'UNPCB pourra ainsi acquérir les bâtiments qui abritent aujourd'hui son siège social à Bobo-Dioulasso et que lui vendit pour 55 millions de francs CFA un établissement national de crédit contraint de fermer ses portes. C'est là que se retrouvent les membres du bureau exécutif de l'Union nationale (au nombre de 12 depuis 2001), les membres du comité de contrôle (au nombre de 3), les conseillers (au nombre de 2), tous démocratiquement élus pour 3 ans par une Assemblée générale constituée de représentants des provinces cotonnières de l'ensemble du pays. C'est là aussi que travaillent, rémunérés sur fonds propres, les 8 employés permanents de l'Union nationale (1 ingénieur agronome, 1 sociologue, 1 communicateur, 1 comptable, une secrétaire, 2 chauffeurs et 1 gardien). Toutes les unions provinciales et départementales n'ont pas encore de locaux propres (même si ceux-ci se construisent aujourd'hui à grande vitesse) ; elles ont par contre toutes un bureau, constitué sur le modèle du bureau exécutif de l'Union nationale et comprenant au minimum un président (et un vice-président), un secrétaire (et un secrétaire adjoint), un trésorier (et un trésorier adjoint)...

 

Un dispositif qui s'est donc mis en place très rapidement, qui a réussi à se structurer grâce aux importants moyens qui lui ont été consentis à la fois par la SOFITEX , l'Union européenne et l'AFD (cf. ci-après) et qui en quatre petites années est devenu un acteur incontournable de la filière cotonnière burkinabè. Un dispositif qui a enfin fait de la communication un outil essentiel de son action auprès des producteurs de coton : l'UNPCB diffuse, depuis août 2000, un Bulletin trimestriel d'information, appelé d'abord Le Journal de l'UNPCB puis Le producteur, que nous estimons de très bonne facture et dont la qualité première nous semble être le souci de transparence ; elle anime aussi une radio, "Echos des cotonniers".